À l’occasion de la réédition de son EP Fictions en acoustique, nous avons eu la chance d’échanger avec Fils Cara, dernière signature en date du label Microqlima. Il revient avec nous sur ses créations, la réalisation de ses clips, ses collaborations et le film réalisé au Consulat à Paris, dans une volonté de créer un EP complet à écouter et visionner sans modération !
Propos recueillis par Edwige Chauvière
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Alors, très simplement, mon nom de scène c’est Fils Cara, je m’appelle Marc, je suis arrivé à Paris il y a 2 ans et demi, et je fais de la musique depuis un petit moment, depuis que j’ai 12 ans.
J’écris beaucoup, j’ai commencé à venir à la musique par l’écriture, et je m’amuse bien depuis. J’ai fait une soixantaine de concerts ces deux dernières années, donc je me considère comme un projet live avant toute chose. Je suis aussi auteur, j’écris et je compose de la musique pour moi et pour d’autres.
Est-ce que tu te considères comme un rappeur ?
Au niveau du genre, c’est un peu complexe de se définir soi-même, mais je dirais que je fais de la pop musique. Je considère que je suis un chanteur, un performeur et un artiste de manière plus générale, je pourrais presque me considérer comme un artiste plasticien. J’utilise le médium de la chanson, de la musique, mais c’est une pensée visuelle.
Quelle est ta relation avec l’écriture ?
Pour moi l’écriture c’est quelque chose de fondamental, mais c’est pas quelque chose de sacré non plus. J’aime beaucoup de projets qui ne sont pas forcément écrits, qui sont musicaux plutôt, par exemple la musique disco, je trouve ça super, la musique de danse, la musique répétitive, en fait j’aime toutes les formes de musique.
Pour moi le texte c’est important parce que c’est de là que je viens, et que j’ai commencé avec l’écriture, mais j’ai pas fait hypokhâgne, j’ai pas fait d’immenses études, j’aime juste la chair des mots, là où le rap justement fait exactement ce chemin-là.
Donc oui au final je peux me considérer comme un rappeur d’un point de vue textuel.
Est ce que la démarche est la-même quand on écrit pour soi et quand on écrit pour les autres ?
Non pas du tout, en fait quand j’écris pour les autres, c’est justement pour m’oxygéner par rapport à mon projet, essayer de toucher à d’autres sujets, me mettre dans la peau d’autres personnes, c’est presque un travail de dramaturge, comme une pièce de théâtre.
Tu montes un peu le travail selon ce que tu sais de la personne avec qui tu travailles, par exemple une chanteuse qui te raconte son histoire ou un chanteur qui te dit qu’il a envie de toucher tel sujet, et finalement, le travail d’écriture c’est un peu le même que quand c’est pour toi.
Tu viens dans une espèce de processus où tu racontes l’histoire avec le « je », donc finalement la plupart du temps tu parles de toi en fait. C’est la même chose et pas la même chose (rires).
Quand tu composes tes morceaux, tu passes d’abord par le texte ou par la musique ?
La plupart du temps je fais les deux en même temps, c’est à dire que je travaille beaucoup sous la forme de résidences ou de sessions en studio, je suis avec des potes ou avec mon frère Francis, on peut être jusqu’à cinq, et on commence à faire de la musique chacun sur un instrument, ça fonctionne comme un groupe, et moi j’écris directement.
Ça vient comme une éruption, assez rapidement. Ensuite je vais poser les voix au micro, ça créé des chansons rapidement en une à deux heures, et ensuite je retouche un peu les textes jusqu’à l’enregistrement des voix définitives, mais la plupart du temps j’écris en même temps que je fais la musique.
Tu te définis comme un artiste de live, c’est quoi ton live le plus marquant ?
Je pense que c’est la Boule Noire en novembre dernier, c’était assez excellent, c’était la première tête d’affiche que je faisais à Paris. Après on a rempli deux fois La Maroquinerie pour des concerts qui n’ont pas eu lieu à cause du covid, et du coup c’était un peu triste.
Mais La Boule Noire c’était vraiment un concert assez grandiose, il s’est passé une espèce de magie ! Déjà jouer une heure ça fait du bien, parce qu’on avait l’habitude d’être en tournée plutôt de premières parties, et là de pouvoir faire tout le set c’était super.
Et surtout c’était blindé, c’était l’époque où il n’y avait pas encore de Covid, donc je t’avoue que jouer devant une salle remplie, avec les gens en sueur et qui chantent, ça défonce, j’en garde un immense souvenir.
Après, il y a quand même eu des belles scènes de festival, je me rappelle We Love Green c’était excellent, on avait fait l’ouverture le samedi sur la scène de la Canopée à 15h, c’était assez immense.
Il y a eu beaucoup de belles notes sur ces deux ans !
Pourquoi le live a-t-il une place aussi importante dans ton projet artistique ?
Il y a la rencontre avec le public, mais c’est surtout que, dans un disque, tu figes une version de ta chanson, alors qu’en live tu peux la déstructurer, la déformer, tu peux la rendre réelle, lui donner d’autres intentions qu’elle n’avait pas à la base. C’est ça ce que j’aime au final, c’est de jouer avec le sens, jouer avec les sons et faire de la musique en live quoi, prendre une guitare, chanter, c’est cool. Ça ne va pas plus loin que ça.
Pourquoi nommer ton nouvel EP Fictions ?
Fictions c’est très simple, c’est parce que j’ai l’habitude d’avoir un livre de chevet de Georges Louis Borges (auteur sud-américain), qui a écrit un recueil de nouvelles qui s’appelle Fictions, je pense que c’est un des plus grands auteurs du XXème siècle et c’est surtout mon préféré. Il me fait rire et il me fait adorer la littérature, donc c’était en hommage à lui.
Et puis c’est aussi parce que c’est ma vision du monde, j’ai l’impression qu’on se fait des films en permanence, quotidiennement, et qu’on se raconte toujours des histoires qui sont faites de fictions pour créer notre réel. Ces morceaux de fictions morcelés créent notre réel et notre rapport avec les autres et en fait c’est ça Fictions.
C’était tout simplement pour dire que je raconte des trucs réels et que je les entremêle avec des choses fantasmées ou de l’ordre du rêve et j’essaye de faire des histoires qui se tiennent avec ça.
Est-ce qu’il s’agit de création de l’esprit ou de reflet d’une réalité vécue ?
On va dire que tout est tiré de faits réels inventés. Voilà c’est ma réponse (rires).
Est-ce que le processus de création était différent pour cet EP par rapport au précédent, même si leurs dates de sortie sont assez proches ?
J’ai vu une grosse évolution. En fait le premier EP a été fait exclusivement avec Osha en studio sous la forme d’une ou deux semaines de création, il y avait Francis aussi et Simon Gaspard qui a fait tous les arrangements (et avec qui je travaille aussi sur Fictions et Fictions Acoustique).
Il y avait des chansons qui dataient d’un petit moment, ça faisait deux ou trois ans que je les avais écrites, et on va dire que c’était un premier EP donc comme son nom l’indique, c’est l’EP du début de ta vie, de ta carrière.
Et donc le second, Fictions, on l’a fait beaucoup plus rapidement, en trois-quatre mois, à partir de novembre 2019, et on s’est bien amusés. C’est à partir de là que j’ai commencé à former l’équipe de Fictions, avec laquelle on a travaillé sur l’EP acoustique et qui continue de travailler avec moi sur mon premier album (que je suis en train de faire là).
Quel est le titre le plus emblématique de l’EP, le plus abouti ?
Je pense que le titre le plus abouti c’est Crédits, parce que c’est un titre dans lequel je déroule une série de noms. Déjà Crédits c’est intéressant parce que j’ai écrit cet EP comme un film et le fait qu’il y ait un générique dit oralement à la fin je trouve ça rigolo. C’était un peu une blague à la base, mais je trouve que c’est un titre abouti parce que derrière, la production est intéressante, et je trouve ma voix parlée assez aboutie alors qu’une voix chantée, on est toujours en train de la chercher.
C’est aussi parce que j’aime beaucoup la sonorité des noms, on parlait de la chair des mots tout à l’heure, la sonorité des noms en fait tu peux t’imaginer les personnes même si tu ne les connais pas, les prénoms et les noms donnent toujours une espèce d’image de la personne. Je trouve que c’est le titre le plus cinématographique du disque.
Sinon ma chanson préférée de l’EP c’est quand même Sous ma peau parce que c’est le titre le plus premier degré, le plus pop que j’ai fait jusqu’à maintenant, et qu’il m’a beaucoup libéré sur certains points musicaux et textuels.
Le clip de Concorde a été réalisé par Hugo Pillard, tu l’as rencontré comment ?
On s’est rencontrés juste avant la sortie de Fictions, on est devenus potes, et on s’est dit que travailler ensemble ça serait une bonne idée.
Il a déjà travaillé sur des clips de Pomme, de Tim Dup, donc il avait l’habitude de faire ça, et moi je trouvais ça cool de travailler avec lui parce qu’il a un imaginaire, il a un truc surpuissant comme visu de l’image, et puis il écrit des supers scénarios.
On a co-écrit directement les clips de Sous ma peau et de Concorde et on les a tournés en deux journées – une journée de studio et une journée en extérieur. On s’est régalés, je trouve son écriture vraiment brillante !
Pour le clip de Concorde ça m’intéressait de faire un clip très simple, étant donné que le morceau est un peu complexe par rapport à mon style musical de base. C’est un peu une montée progressive façon rock et je trouvais cool en fait de juste me voir faire l’avion derrière un fond avec ces couleurs magnifiques.
Je suis vraiment familier du travail de Mark Rothko, que j’aime beaucoup, donc on a mis des détails de ses tableaux projetés derrière et franchement c’était un clip extraordinaire.
C’est quoi ton rapport à cet aspect pictural dans les clips ?
Pour moi il y a plusieurs temporalités dans un projet visuel, en gros un tableau c’est à peu près la distance temporelle d’une chanson, alors qu’un film d’une heure et demie, si tu fabriques une musique d’une heure trente par-dessus (certaines BO comme celle de Birdman où la batterie suit un peu tout sur le filmsont super intéressantes), le processus est complètement différent.
Pour moi le clip ce n’est pas du tout du cinéma, quand tu as une chanson de trois ou quatre minutes, il faut montrer une image forte et un projet prégnant, tu ne peux pas te perdre dans autant d’idées que tu aurais pour un long métrage. Donc j’aime bien faire des grosses images comme ça, me poser, écrire correctement et garder la même idée, le même motif sur tout le clip avec éventuellement une chute à la fin.
C’est primordial d’avoir une grosse image et de se dire, « tiens, c’était le clip où le gars faisait l’avion et ça ressemblait à un tableau Byzantin ». Voilà c’est un peu ça ma vision des choses.
Pourquoi faire un clip pour Sous ma peau et Concorde en particulier et des sessions live sur New York Times et Hurricane ?
C’est vraiment par rapport à la couleur des morceaux, tu vois Hurricane et New York Times en piano voix c’est cool, et c’est des morceaux qu’on a expérimentés de cette façon pendant longtemps avec Francis sur scène. On s’est dit assez naturellement que c’était bien de faire une live session.
En clip pour Concorde et Sous ma peau c’était les pendants à angle droit parce que l’un c’est vraiment une montée indie rock et l’autre c’est un gros morceau pop, donc on s’est dit on fait ces deux-là. C’est aussi parce que Hugo kiffait ces deux morceaux et qu’on avait des idées pour les deux, mais on aurait pu faire autre chose.
Le clip de Concorde me rappelle le dessin animé « Princes et Princesses », pourquoi l’idée des ombres chinoises?
Oui ça fait penser au dessin animé Princes et Princesses, je kiffe trop Michel Ocelot, je trouve que c’est vraiment des images qui nous ont tous marqué les uns et les autres, Hugo et moi devions forcément faire cette ref’.
Après, les ombres chinoises c’était vraiment une idée de dévoilement. Sur la pochette de Fictions, qui est assez éclairée par le soleil, où il y a ce gros col roulé rouge et ce grand ciel bleu, je trouvais qu’il y avait un dévoilement qui était vraiment cool, mais dans les clips j’aimais bien l’idée du clair-obscur. Le morceau de Sous ma peau c’est quand même un morceau très ouvert et du coup je voulais un peu contraster avec une image un peu plus détruite, un peu plus indé, un peu plus crade. Je trouvais ça beau.
On avait des références aux dogmes aussi, à Lars Von Trier, au cinéma un peu « caméra épaule », parce que c’est des références qu’on a vues avec Hugo, et donc cette espèce de mix entre Princes et Princesses et dogme95 ça a créé une espèce de trip comme ça, un peu étrange.
Pourquoi faire une réédition acoustique ? Est-ce que c’est une manière de proposer une version de l’EP un peu plus proche du public quand on ne peut pas faire de live ?
Oui c’est un argument valable, mais en fait le truc le plus intéressant c’est que c’est plutôt une relecture, une révision des chansons. Elles peuvent prendre des milliards de formes peu importe le genre musical, mais la musique acoustique, c’est-à-dire au piano voix ou guitare voix, c’est de la musique dont je suis familier. Je dirais que je sais exploiter les forces que j’ai autour de moi : Francis est un super joueur de piano, Louis est un très bon guitariste, Lucas est un très bon arrangeur et Simon aussi, donc je voulais faire un album qui ressemblait à mon entourage.
Pour moi l’acoustique c’était vraiment l’aboutissement, quand tu as une chanson qui fonctionne en acoustique, et qui te donne de l’émotion, c’est extraordinaire, donc j’ai fait tout un disque comme ça, on a arrangé avec des textures un peu différentes, mais ça ressemble un peu à un disque de folk et je le trouve trop beau ! Ça m’a intéressé de retirer un peu toutes les fioritures de prod pour faire quelque chose de beaucoup plus intemporel. Quand je réécouterai Fictions dans quelques années, je me dirais « putain c’est daté ! », et Fictions acoustique j’ai essayé de le rendre plus intemporel pour garder les chansons et garder la précision du texte et de l’interprétation.
Dans le film de l’EP acoustique, on s’attend à voir quelque chose de très proche des sessions lives et on voit beaucoup les à-côtés, comment as-tu pensé ce projet ?
En fait je t’avoue que je n’y ai même pas réfléchi, on a fini d’enregistrer l’album et je suis directement allé voir Basile, le chef opérateur dans les clips de Sous ma peau et Concorde, qui a fait de très belles images, et j’ai écrit le projet hyper rapidement.
J’avais une idée assez vague de ce que je voulais et en même temps très précise sur le contenu, je voulais qu’on me voie moi, beaucoup plus proche que d’habitude, c’est-à-dire que dans mes clips il y a toujours un truc de mise en scène et là je voulais qu’on me voie directement sur vingt minutes, ma gueule, comment je me déplace, qu’est-ce que je fais exactement quand je suis hors contexte, hors de scène.
Je trouve qu’on s’en est pas mal tirés, parce qu’on a monté la prod du projet en même pas deux semaines, on a demandé au Consulat pour tourner chez eux, Basile a monté une équipe de supers cinéastes, c’était super. On a fait ça sur une journée au Consulat de 8h à 18h, il faisait -4° et on a trop kiffé ! Pour moi c’était le truc le pus impulsif que j’ai fait depuis le début de ma jeune carrière, je savais que j’avais besoin d‘illustrer cet album qui était beau et hors du temps, et je pense que j’ai trouvé la meilleure forme pour le faire, qui est une forme relativement humble, un film de 20 minutes, qui n’a pas l’air trop compliqué.
Je trouve effectivement que ça accompagne bien l’EP, il n’y a pas besoin de plus. C’est peut-être la première fois qu’on me voit autant dans une capsule, on a l’habitude de me voir sur scène ou filmé en live session, mais il y a toujours ce truc très interprété au micro, j’avais jamais eu réellement de déplacements, de prise d’espace, et j’ai pu raconter un peu ce que je voulais.
Pourquoi enregistrer les morceaux à l’envers par rapport à l’EP original ?
C’est intéressant, en fait, je l’ai pensé à l’envers parce que j’avais cette image de Leonard Bernstein (super chef d’orchestre) qui a un moment donné présente le concerto qu’il va jouer, et commence par faire les crédits. J’avais déjà pensé à ça avant d’enregistrer le disque acoustique, et je pensais que ça serait bien de commencer par les crédits, et comme dans Fictions avant j’avais mis les crédits à la fin, je me suis dit que ce serait cool de tout faire à l’envers.
La deuxième raison, c’est que je trouvais la version de Derniers dans le monde en piano voix super puissante par rapport à la version qui est produite dans l’EP original, et je savais que je voulais la mettre au début. Donc finalement ça s’est déroulé comme ça, je me suis dit que j’allais faire l’inverse.
Et en même temps, troisième raison, c’est qu’on va faire un double vinyle en juin avec Fictions et Fictions Acoustique et j’aimerais bien que quand on finit de lire Fictions et qu’on termine les crédits, on puisse poser le nouveau disque et que ça commence par la même voix de crédits.
Quels projets pour le futur ? Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter ?
Eh bien je suis sur mon premier album, je travaille d’arrache-pied, et on peut me souhaiter de travailler avec soin sur toute la musique qui arrive, et puis surtout de vivre encore des expériences de live quand ça reprendra ! Mais tu vois j’arrive quand même à faire du live filmé et rediffusé, donc je ne suis pas à plaindre à ce niveau-là.
Mais on peut me souhaiter une belle vie pleine de musique, ça serait cool !