Je rencontre aujourd’hui Déborah*. Nous nous retrouvons autour d’un chocolat chaud bien mérité après une longue journée de cours. Déborah est en master et elle a hâte que son semestre se termine enfin. Elle me dit à voix basse qu’elle n’était pas sûre de venir ou du moins pas dans l’optique de répondre à des questions personnelles.

Photo : Matthew Henry

Propos recueillis par Nina Lachery

Nous plaisantons sur le sujet. Le chocolat, plus efficace encore que l’alcool, réchauffe l’atmosphère. Nous passons finalement aux choses sérieuses.

Sa première fois, elle l’a eu à 15 ans. Si c’était à refaire, elle attendrait.

« Ce n’était pas le bon moment, et encore moins la bonne personne, confesse-t-elle, le regard fuyant. Mais quand on sort juste de l’adolescence et qu’on n’a jamais attiré l’attention, les premiers compliments peuvent sonner comme le chant des sirènes. »

Cette histoire, la manipulation de son premier copain et les regrets qui en ont découlé, sont derrière elle. Mais elle a lutté pendant longtemps avant de s’en défaire.

« J’ai longtemps eu du mal à ne pas me crisper dès que, dans une relation, la sexualité faisait son apparition. Je me posais toujours les mêmes questions : est-ce que c’est vraiment moi qui le veux ? Est-ce que ce n’est pas la pression ? Est-ce que c’est la bonne personne ? Vais-je regretter ? »

Cet esprit plein de questions, Déborah le partage avec des milliers d’autres filles. À une époque où la volonté d’être libre de son corps et de ses fréquentations est plus forte que jamais, une confrontation perdure entre l’envie de suivre son corps et la peur étrange de se « salir » lors de l’acte. Pendant longtemps, Déborah s’est sentie perdue. Ses désirs se heurtaient parfois à certains préceptes de son éducation.

« J’avais envie de coucher avec tel ou tel type, juste par envie, parce que parfois le corps de quelqu’un nous attire sans pour autant qu’on veuille créer une relation de couple. Mais d’un autre côté, il y avait une petite voix dans ma tête qui me disait que si je le faisais, peut-être qu’un jour, lors d’une vraie histoire d’amour, mon nouvel amoureux aurait comme l’impression que j’ai moins de valeur qu’une fille qui n’a eu qu’un partenaire sexuel. »

Ce « Jiminy Cricket pourri du cul » comme elle l’appelle en rigolant, Déborah le juge totalement idiot. Féministe et impliquée, elle a conscience que son nombre de partenaires sexuels ne veut rien dire mais elle se souvient tout de même d’une discussion avec un ex copain où il avait été question d’une « trop grande quantité d’amants chez les femmes ».

« Aujourd’hui je suis dans une relation avec un garçon génial, qui se fiche bien que j’ai couché avec deux, cinq ou dix-huit personnes. Mais je me dis qu’il y a des filles qui fréquentent des personnes qui leur mettent en tête que leur liberté sexuelle pourrait les rendre sale ou inintéressante aux yeux d’un hypothétique “prince charmant”. Je trouve ça effrayant. »

Impossible de ne pas faire remarquer que si le prince charmant existe (sur cela nous émettrons quelques doutes bien que tout réside dans la définition que l’on fait des choses), il ne mériterait pas son titre de charmant s’il n’acceptait pas sa « princesse » comme elle est, avec ses qualités, ses défauts, et ses expériences sexuelles.

Lorsqu’on lui demande son meilleur souvenir au lit, Déborah rougit un peu. La question n’est pas commune, il faut l’avouer, même autour d’un chocolat chaud. Pour évoquer ce moment intime, elle a besoin de recontextualiser un peu.

« Longtemps, je n’ai pas eu d’orgasme lors de mes relations sexuelles. J’y arrivais seulement seule. Puis, petit à petit, j’ai appris à mieux comprendre mon corps, à connaître les choses qui marchaient pour moi. Ça ne dépend pas seulement du partenaire. »

Le serveur nous ramène des cookies que nous avons commandés, la conversation s’interrompt le temps d’un remerciement.

« Avec mon copain, on est allés camper, assez tôt dans notre relation, à un moment où les autres couples se contentent probablement de faire un rencard à Starbucks. La nuit, on s’est retrouvés dehors à regarder les étoiles, il caillait et je devais faire pipi. J’avais peur d’y aller toute seule dans le noir alors il m’a accompagnée, on a fait la course jusqu’aux toilettes, on s’est installés dans deux cabinets adjacents et on s’est rendu compte que sans doute on allait s’entendre uriner l’un l’autre, ce qui est un peu crade quand même. »

Elle rit doucement à cette anecdote, à moins que ça ne soit les effets du sucre sur son organisme.

« On s’est mis à chanter hyper fort, un truc qui parlait de pipi et de camping, improvisé, comme des gamins. On est remontés à la tente et ça aurait juste pu être un peu gênant mais ça nous a fait tellement rire qu’on s’est rapprochés, sous nos duvets, on a commencé à s’embrasser et à se caresser. On a fait l’amour comme des sauvages et j’ai eu un de mes orgasmes les plus mémorables sur ce matelas pneumatique. »

L’histoire laisse dans l’air un goût aussi sucré que notre goûter du jour. J’en profite pour poser à Déborah ma dernière question. La question qui ponctuera, je l’espère, plusieurs autres rencontres à l’avenir.

Est-ce qu’elle a quelque chose à dire aux jeunes femmes qui se posent elles aussi des questions ? Elle réfléchit un moment. On ne s’improvise pas grand sage.

« Je dirais qu’il faut moins s’inquiéter de plaire à l’autre que de se plaire à soi-même. Et qu’il faut se connaître. Je suis plutôt le genre de fille qui prend son temps pour être sûre avant de passer à l’acte. C’est lié à mon vécu et à ma façon d’être. Je sais que coucher spontanément, en soirée ou en sortie de boîte, ça ne marche pas pour moi. À partir du moment où je sais ça, ça fonctionne. Ça sert à rien de dire à une fille d’être spontanée ou d’être réfléchie ou d’être je sais pas quoi encore. Parce que lui dire de prendre son temps alors qu’elle s’éclate avec des aventures pas préméditées, ça va pas la faire avancer. Donc les filles, voyez ce qui marche pour vous et n’essayez pas de faire semblant d’être autre chose juste pour ressembler aux autres. Ce qui se passe dans votre lit ne concerne que vous, à la fin. »

 

* Pour préserver l’anonymat, le prénom a été changé