Loin de l’ambiance nauséabonde de l’édition 2020, liée à la remise du César de la meilleure réalisation pour J’accuse du réalisateur Roman Polanski, accusé d’agressions sexuelles et de viols par plusieurs femmes, la 46e cérémonie des César du cinéma s’est presque déroulée sans encombre. Retour sur une soirée sous le signe de la nouveauté et pleine de surprises.

Crédit photo : Académie des César

Article écrit par Julie Guillaud

En succédant à Florence Foresti, Marina Foïs, maîtresse de cérémonie des César cette année, dans sa robe à paillettes, rappelle, dans un humour singulier ponctué de noms d’oiseaux, qu’après seize nominations, elle n’a obtenu aucune récompense. Ça y est, la soirée peut commencer. On remercie Laurent Laffite et Blanche Gardin pour l’écriture des sketchs.

 Roschdy Zem, le président de la cérémonie et César du meilleur acteur 2020 a opté pour un discours un peu plus solennel :

« Ça me fait plaisir de vous reparler. On s’est quitté un peu fâché l’an passé. À la contagion des émotions dans la salle obscure s’est succédé la peur de la contagion du virus. Le cinéma a continué d’exister mais sans sa vocation collective. Je voulais saisir cette occasion de célébrer notre art et ne plus oublier notre chance folle d’exercer ce métier. Nous ne pourrons plus faire du cinéma sans entendre la vulnérabilité des acteurs, des techniciens, des scénaristes. Les règles du jeu changent mais peut-être est-ce le début d’une nouvelle aventure. »

La salle de spectacle de l’Olympia fut l’heureuse élue pour remettre les récompenses. Règles sanitaires obligent, les rangs étaient peu occupés. Selon Le Figaro, 153 invités nommés prirent place sans accompagnateur. Auparavant, ils avaient tous été testés deux fois, le matin même de la cérémonie, avant de rentrer par petits groupes à des horaires différents.

Les César 2021 semblent assez loin du chaos de l’année dernière. Dans le fond, les apparences sont néanmoins trompeuses. Les scandales ont marqué, choqué, sidéré, mais rien n’évolue. Si Alain Terzian, ex-président de l’Académie des César a démissionné et a été remplacé par Véronique Ceyla, l’ancienne présidente d’Arte, Roman Polanski a toujours sa place aux côtés des représentants de l’assemblée générale des César. Ils n’ont donc rien appris…

Boycotts et défunts mis à l’honneur

Celle qui s’est levée et cassée en scandant « La honte ! » le 28 février 2020 n’était pas de la partie. Adèle Haenel l’avait pourtant bien dit. Marina Foïs l’a aussi répété sur le plateau de l’émission C à vous le 9 mars dernier. L’actrice a catégoriquement rejeté sa présence aux César. « Je lui ai proposé de remettre un prix et elle a refusé pour des raisons qui lui appartiennent », précise Foïs.

L’habitué des absences à la cérémonie n’est autre qu’Albert Dupontel. Avec son dernier film Adieu les cons, il a raflé sept trophées sur les douze nominations, dont le sésame : meilleur film, meilleure réalisation et meilleur scénario. Il n’est jamais venu sur l’estrade retirer ses biens. Virginie Efira, actrice centrale du dernier Dupontel, a remercié brièvement. La raison de cette distance a été donnée par Dupontel lui-même, en 2017 sur le plateau de Quotidien : « Aller ou pas aux César, ce sont des choix. Il y a différentes façons de faire du cinéma. C’est une émission de télé qui parle du cinéma, je trouve ça bien, ça fait de la pub. Maintenant les César, c’est aller au Louvre et dire que tel peintre est meilleur qu’un autre peintre. Je suis perplexe devant ce jugement intellectuel. Alors prudemment je me mets à l’écart, mais je trouve ça bien que ça existe. »

 L’année 2021, éperdument frappée par la pandémie, est aussi marquée par la perte de grandes figures du cinéma. La 46e cérémonie des César a souhaité rendre hommage à tous les réalisateurs, acteurs et scénaristes disparus. La mémoire de Claude Brasseur, Guy Bedos, Nathalie Delon. Le César d’honneur a été remis au râleur préféré des Français, Jean-Pierre Bacri. L’institution a également souhaité réparer une injustice. Disparu en mai 2020, l’acteur Michel Piccoli n’a jamais reçu de César. Il a pourtant été nommé à quatre reprises dans la catégorie Meilleur acteur pour Une étrange affaire, La diagonale du fou, Milou en mai et La Belle Noiseuse. Sur l’affiche officielle des César 2021, on voit Piccoli déposer un baiser dans le cou de Romy Schneider. Un hommage à son rôle tourmenté dans Les Choses de la vie de Claude Sautet (1967).

 

Nouveautés et parité

Point de bascule dans l’histoire des prix, le temps du César du public est révolu. Très critiqué puisqu’il mettait uniquement au premier plan les comédies françaises, ne laissant aucune chance aux autres genres du septième art. Depuis 2018, il récompensait les films les plus vus en salle. Dany Boon l’avait emporté cette année-là avec Raid Dingue. Après changement de procédure en 2020, le César était décerné après un vote de l’Académie. Elle devait choisir un film parmi les cinq plus grandes entrées du box-office. Le grand vainqueur de l’année dernière fut Ladj Ly pour Les Misérables, 2 116 719 entrées en 2019 d’après JP’s Box office, tandis que Qu’est-ce qu’on a encore fait au Bon Dieu ? de Philippe de Chauveron comptabilisait trois fois plus d’entrées en salle.

Le prix des lycéens fait son apparition. Il n’est pas totalement nouveau puisqu’il existe depuis 2019, mais n’a jamais été remis lors d’une cérémonie. 2000 élèves de classes de Terminale des lycées d’enseignement général, technologique et professionnel sont choisis pour distinguer « l’un des sept films nommés dans la catégorie Meilleur film », d’après le ministère de l’Éducation. Il participe avec l’Académie des arts et des techniques du cinéma à la mise en place de ce trophée. Boubou Yatera, élève de terminale option cinéma au lycée de l’Hautil à Jouy-le-Moutier (Val-d’Oise), a été sélectionné pour remettre le prix. Une fois encore, Albert Dupontel remporte la victoire dans cette catégorie.

Petite révolution dans le peu d’équité que l’on impute à l’Académie des César. L’ancienne présidence avait collectivement démissionné sur fond d’affaire Polanski. Au côté de Véronique Ceyla, le réalisateur Eric Toledano. La présidente et le vice-président sont mandatés pour deux ans. Un binôme homme/femme qui ne fait pas de mal ! Dans la continuité, la nouvelle assemblée générale atteint enfin la parité statutaire, soit 82 femmes et 82 hommes.

L’édition 2021 fait peau d’âne

Une cérémonie sans apparition remarquée, ce n’est pas une cérémonie. Lors de la remise du César pour récompenser le meilleur costume, la comédienne Corinne Masiero a dénoncé d’une part l’inaction du gouvernement pour son absence de prises de décision, et d’autre part la détresse des intermittents, touchés de plein fouet par la précarité. Une intervention qui fait écho aux occupations des théâtres à travers la France depuis une semaine, afin de réclamer la réouverture des lieux culturels. En ôtant sa peau d’âne, Corinne Masiero a littéralement mis la culture à nu. Sur son corps ensanglanté, côté face, on pouvait lire « No culture, no future ». Côté pile, « Rends-nous l’art, Jean ». Inceste, agression sexuelle, culture sous cloche, tout y est passé. Peut-être choquant pour les uns, complètement débile pour les autres, pourtant ce discours était nécessaire et véridique.

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« À bientôt, Corinne », a conclu Marina Foïs avant que Corinne Masiero ne quitte la scène. « Pas l’année prochaine, j’ai l’impression », a répliqué cette dernière.

En espérant que la culture ne soit plus en berne d’ici la prochaine cérémonie.

Pour retrouver l’intégralité du palmarès des César 2021, c’est juste ici.