Cédric Streuli, connu sur scène sous le nom de Buvette, a sorti le 31 janvier son album 4ever. Nous l’avons rencontré pour en savoir plus sur ses projets et sa musique, et plus précisément sur la composition de cet album.
Propos recueillis par Olympe Dupont
Pour commencer, est-ce que tu peux nous parler un peu de toi ?
Je m’appelle Cédric, j’ai 34 ans, je suis originaire de Suisse, d’un village de montagne, et j’habite maintenant à Paris. Je fais depuis dix ans ce projet qui s’appelle Buvette, qui peut être classé dans le style synthpop ou pop electronica, même si je ne suis pas sûr de faire un style de musique unique. Je pense que c’est un peu à chaque époque son propos et que tous les albums ou tous les moments musicaux que j’ai eus ont été assez différents les uns des autres. Autant dans le processus de création, que dans les sons ou les instruments présents, voire dans la manière de faire et le nombre de personnes inclues dans le projet. On va dire que c’est de la pop large. Le dernier album a été travaillé en duo et c’est donc beaucoup plus axé sur le synthétiseur mais il y aussi de la voix et de la musique électronique.
Oui, c’est vrai qu’on remarque de plus en plus qu’il est difficile de mettre une étiquette concernant le genre musical d’un artiste.
Et tant mieux, je pense. On est à une époque où l’on est plus dans l’hybridation des choses qui apparaissent. Les nouveaux genres musicaux c’est plutôt des switchs entre plusieurs choses, comme ça pouvait déjà être le cas avec le blues et le twist qui pouvaient donner le rock’n’roll.
Pourquoi as-tu choisi de chanter en anglais ?
C’est une bonne question. J’ai choisi de chanter en anglais dès le début pour plusieurs raisons. D’abord, parce que dans mon enfance et adolescence j’ai surtout écouté de la musique anglophone. J’ai découvert la musique francophone assez tardivement. C’est peut-être dû à plusieurs choses. J’ai grandi dans une région francophone mais la première langue que j’ai apprise c’est le suisse-allemand parce que mon père l’est lui-même. Quand je vois des vidéos de moi gamin, je parle vraiment avec un accent suisse-allemand et j’ai appris le français plutôt en étant en contact avec d’autres enfant, vers cinq ans. Leysin, le village où j’ai grandi, est un des endroits en Suisse où il y a la plus grosse communauté internationale. Il y a plus de 50% de gens qui viennent de l’étranger parce qu’il y a des écoles internationales, écoles hôtelières, etc. Il y a toujours eu un peu de brassage, et en fait on parle plus anglais que français à Leysin. J’y ai vraiment appris à parler anglais. Et puis je voyage beaucoup, donc c’est un mélange des deux. En plus de ça, je me suis toujours dit qu’avoir un projet qui s’appelle Buvette et chanter en français ce serait un peu lourd peut-être. J’aime le fait que la langue dans laquelle je m’exprime, qui est l’anglais dans ce projet, fasse un peu perdre le sens du mot, à moins qu’on ne le cherche. Je l’ai toujours plus considéré comme quelque chose de phonétique, dans la manière dont ça sonne. Voilà pourquoi j’ai toujours chanté en anglais, mais je ne suis pas contre l’idée de chanter en français.
Tu as des idées de projets en français ?
Pas directement, mais parfois oui il y a des moments où je me dis que j’écrirais d’une manière plus directe. Pourquoi pas chanter en français ? Je ne suis pas fermé à l’idée.
« Ce n’est pas un moment de bilan, mais un moment de regard en arrière, une manière de rendre hommage ou de saluer toutes les personnes qui ont, même si c’est un projet solo, fait partie du projet. »
Si tu devais parler de l’album à quelqu’un qui ne l’a pas écouté, comment est-ce que tu lui décrirais l’histoire de l’album et quels seraient tes conseils d’écoute ?
C’est un album qui a été fait en collaboration avec un producteur qui s’appelle Apollo Noir, qui a lui-même son projet mais produit d’autres gens. Ça a été fait un peu en tandem : j’arrivais avec mes idées, mes morceaux, mes mélodies, mes textes et la plupart des structures, et puis on a fait des arrangements ensemble. L’idée c’était d’aller dans son studio et de donner plus de vie au son, de le faire vivre et évoluer. C’est un disque que je conseille d’écouter en une fois, d’un trait si c’est possible. Il a pour thème un peu le projet lui-même après dix ans. Ce n’est pas un moment de bilan, mais un moment de regard en arrière, une manière de rendre hommage ou de saluer toutes les personnes qui, même si c’est un projet solo, ont fait partie du projet. Pas forcément les gens qui ont joué avec moi, mixé ou suggéré des idées mais aussi des gens qui m’ont hébergé, qui m’ont aidé à organiser des concerts ou qui m’ont prêté un transformateur le jour où le mien ne fonctionnait plus. C’est un peu un album qui a ça pour thème. Ce n’est pas non plus le truc unique, mais c’est un truc un peu collectif, dans l’hommage. Ce thème est arrivé un peu en cours parce que je me demandais si ça n’allait pas être mon dernier album. Il s’appelle 4ever et aurait pu être l’épitaphe du projet. Au bout du compte, je ne pense pas, parce que j’aime bien faire ça quand même (rires).
Pour revenir à Apollo Noir justement, comment est-ce que tu l’as rencontré et comment s’est faite votre collaboration ?
Comme je disais avant, à chaque album son processus et sa manière de fonctionner. Celle de 4ever était pour moi le moment de confronter ma musique à un producteur. J’avais envie de ça parce que, jusqu’ici, j’avais toujours eu un contrôle total dans la production de l’album. J’avais envie de lâcher-prise, plus encore que sur Elasticity. Parce que, sur ce dernier, pas mal de monde était intervenu justement. L’étape d’après, c’était d’inclure quelqu’un avec qui je ferais la musique, en plus d’avoir un échange avec le label. C’est donc un ami en commun qui nous a présentés, puis on s’est rencontrés et on s’est tout de suite bien entendu. On a plein de choses en commun dans notre parcours musical : on a commencé jeunes à jouer dans des trucs de cercle proche, lui il jouait avec ses frères, moi avec mes potes d’enfance avec qui je faisais du hardrock, on écoutait Black Sabbath, etc. On a tous les deux fait plein de choses et on est passés par plein de phases musicales.
4ever, c’est la suite de l’EP Life ?
C’est ça. Au début on était partis pour faire un album, puis on s’est rendu compte qu’il y avait tous ces nouveaux morceaux qui arrivaient.
Donc vous avez tout travaillé en même temps ?
Au moment où Life est sorti, on travaillait déjà sur « Last Dance », « True Stories » et sur deux-trois autres choses, mais il n’y avait pas encore le lien. Les morceaux de l’EP n’allaient pas aller avec des morceaux comme « Last Dance » ou « True Stories » qui avaient un côté un petit peu plus malin ou second degré. En sortant Life, on s’est dit qu’on n’avait pas encore tout mais on avait le premier chapitre. Donc a un peu isolé ces morceaux et on les a retravaillés pour qu’ils fonctionnent vraiment ensemble. Pour faire cet album, j’ai quand même dû jeter 7-8 morceaux qui n’avaient plus grand chose à voir et qu’on avait fait à l’époque de Life, aux moments de tâtonnement.
Dans la chanson « Together » tu parles du Mexique et le clip de « Last Dance » se passe là-bas. J’imagine qu’il y a une certaine attache au pays. Qu’as-tu vécu de particulier là-bas ?
J’y ai vécu pendant quelques années et je garde pas mal d’attaches avec le Mexique. J’y étais entre 2011 et 2013 et j’ai plein de potes là-bas avec qui je suis resté en contact. Txema, le mec qui a fait le clip de « Last Dance », c’est un vieux pote qui avait à l’époque un label à Mexico qui s’appelait Vale Vergas Discos. C’est un peu cru mais c’est une expression très mexicaine qui veut dire “je m’en bats les couilles”, et c’est un super label dans la musique qu’il proposait. Je n’ai pas fait beaucoup de choses avec eux, mais il y a plusieurs soirées durant lesquelles j’ai joué. Après, je souhaitais aussi dans cet album que tous les intervenants au niveau de l’image soient des gens que j’ai rencontrés durant ces dix dernières années et avec qui j’ai fait quelque chose. Il n’y a pas, comme au moment d’Elasticity, ce truc du « on se rencontre dans un bar et on fait un clip ensemble ». La volonté pour 4ever était de bosser avec des gens qui sont dans le cercle ou qui connaissent le projet depuis longtemps.
Justement, dans l’album, on sent beaucoup ce côté intimiste. Tu parles aussi du label où tu es actuellement, Pan European. Pourquoi as-tu décidé d’aller chez Pan European alors que tu avais ton propre label, Rowboat ?
Au début j’avais une pote qui étudiait avec Charles (réalisateur du clip de « True Stories » entre autres) et qui était assez proche de Pan European. Elle connaissait mon projet et elle parlait beaucoup à Arthur, qui est le DA du label. Je me disais que j’avais mon propre label, mais pourquoi pas. Après toute la phase du Mexique, je suis rentré et j’ai eu un concert à Paris où était une fille qui bossait avant chez Pan. À la suite du concert, elle m’a écrit, puis téléphoné, pour me dire de venir rencontrer Arthur. Je suis donc allé dans leurs bureaux pour un rendez-vous un peu informel. Et, en fait, il y a eu une rencontre assez forte. On est restés en contact sans jamais trop se dire qu’on bossait ensemble. Pour le premier disque qu’on a sorti ensemble, le label n’était pas vraiment impliqué. On l’a sorti un peu pour signifier le début de notre collaboration. L’implication du label ensuite a été beaucoup plus forte dans Elasticity. Toute cette idée d’échange et de collaboration est devenue plus forte dans les années qui ont suivi. Aujourd’hui, on est bien plus proche autant humainement que dans la manière de faire de la musique. Et, tout ça, c’est un peu arrivé par curiosité, et aussi parce que j’étais un peu fatigué. Rowboat c’était un label très amateur : il n’y avait pas de promo, pas de rétroplanning, etc. Le jour où on recevait un album, on mettait juste une photo sur Facebook et on allait voir les disquaires. Et voilà, l’album était sorti. Donc j’étais content de trouver des gens qui avaient le même rapport que moi à la musique et au label mais qui avaient les possibilités et outils pour faire exister les choses un peu plus concrètement.
Dans ton album il y a cette notion de vivre la vie pleinement et intensément, notamment dans « Now or Never ». Tu fais aussi des allusions au monde virtuel et à la digitalisation dans d’autres morceaux. Est-ce que pour toi la digitalisation peut entraîner le fait qu’on vive moins intensément le moment présent ?
Oui, ça se rejoint, même si je n’ai pas forcément sur le moment immortalisé la chose comme ça. Je ne me suis pas dit “ceci existe parce que cela”, ce n’est pas une cause à effet, mais oui ça en fait partie. Je pense que l’aspect digital peut créer une certaine distance et que, tout à coup, les choses ne sont plus vraiment spontanées et perdent en authenticité. Que ce soit un évènement Facebook ou un rendez-vous Tinder, ça devient un peu comme le Nouvel An. Tu sais qui il y aura et comment ça va se passer plus ou moins, il y n’a pas forcément de surprise. Même si avant ce n’était pas un évènement Facebook, c’était quand même sur l’agenda d’une salle de concert ou d’un club. Tu connaissais la programmation mais tu ne savais pas forcément qui allait venir, tout était à faire sur le moment. Et c’est ce que je déplore un peu là-dedans. Après ce qui est mortel c’est que mon frère, par exemple, voyage depuis deux ans et demi, et si je lui envoie un message, il le reçoit instantanément. Alors que, quand mes parents voyageaient il y a 40 ans, si ma grand-mère voulait écrire à mon père, elle envoyait une lettre que mon père découvrait quatre mois plus tard.
Je suis partisan de la vie intense et authentique.
Et toi, tu as l’impression d’avoir vécu intensément, et c’est pour ça que tu en parles, ou bien tu as des regrets ?
Je pense que j’ai vécu plus intensément à l’époque de Rowboat parce que c’était beaucoup plus fragile et incertain. J’ai pas mal voyagé et je n’ai pas eu de maison pendant plusieurs époques. La vie au jour le jour, un peu fragile, mais qui m’a en même temps emmené dans les expériences les plus fortes de ma vie. Et peut-être que je le regrette un peu maintenant en étant dans quelque chose où il y a un peu plus d’assurance. Je suis intermittent du spectacle depuis trois ans, j’ai un label sur qui je peux compter, j’ai un studio, j’habite au même endroit depuis trois ans et ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps. Je suis peut-être un peu nostalgique mais indirectement. En tout cas, je trouve une certaine plénitude de vie dans les moments où il y a beaucoup de choses plus facilement que dans les moments un peu calmes et de réflexion. Je suis en général plus créatif quand j’ai trop de truc à faire.
Est-ce tu tournes à l’étranger ou ça arrive très peu ?
Moins maintenant. J’avais fait pas mal de concerts au Mexique ou encore aux States il y a quelques années. Pour ce qui est de l’Europe, un peu en Belgique, en France, en Suisse ou en Hollande. Il y a cinq-six ans j’avais organisé une tournée au Mexique. On avait fait sept dates avec des potes. J’ai envie de refaire ça mais dans toute l’Amérique latine en fin 2020 ou début 2021 : faire un mois de tournée que j’organise moi-même via plein de plans et de groupes que je connais en Amérique latine.
Ma dernière question porte justement sur tes futurs projets. As-tu des envies ou des collaborations en vue pour la suite ?
Je pense que je vais monter un nouveau groupe avec Txema, qui écrit beaucoup de poésie et adore la musique. Il avait justement le label avant mais n’a jamais vraiment joué de musique. Là, il vient à Paris dans un mois et on a envie de monter ce groupe ensemble, sûrement en espagnol. Sinon je continue à faire un festival en Suisse avec mes potes qui s’appelle Hautes Fréquences, à Leysin. Ça va être là septième année. Concernant le futur de Buvette, je ne sais pas encore où il va. Dans mes envies, je pense que si le prochain album est mon dernier, ou alors le suivant, ça veut dire que le projet aura été un peu comme une pyramide. J’aurais joué à quatre, maintenant on est deux, et je pense que je vais finir tout seul, comme ça a commencé. La fin va ressembler au début. Peut-être que je serai tout seul avec un set up très simple. Je pense que ça va aller vers ce genre de choses.
Retrouvez Buvette sur Instagram et Facebook et, pour le voir en live, rendez-vous à la Maroquinerie le 14 avril !