En deux ans à peine, Alexandria Ocasio-Cortez est devenue l’icône d’une génération, incarnation d’un renouveau de la politique américaine. Décrite par le quotidien américain USA Today comme « l’une des voix critiques démocrates les plus virulentes des dirigeants de la Chambre », la représentante du 14e district new-yorkais ne mâche pas ses mots et fait vaciller l’establishment institutionnel. Traitée de tous les noms par ses détracteurs, AOC n’en finit pas d’haranguer les foules, armée d’un talent rhétorique exceptionnel et d’un courage qui semble inépuisable ; en témoigne sa réélection le mois dernier pour un second mandat. Si Alexandria Ocasio-Cortez n’en est qu’au début de sa carrière politique, on lui prédit déjà un grand avenir dans cet univers. Portrait d’une jeune femme brillante, qui détonne au Congrès.
Article écrit par Danaé Piazza
Dérivé d’Alexandra, Alexandria signifie “celle qui défend les hommes”. Alexandria Ocasio-Cortez aurait-elle été prédestinée à se battre pour les autres ? La jeune femme a fait des inégalités et des injustices sociales son cheval de bataille, élue pour la deuxième fois consécutive dans une circonscription, le 14e district congressionnel de New York, qui regroupe la partie centre-nord du Queens et la partie est du Bronx. C’est également un district habité en majeure partie par une population hispanique issue de la classe moyenne. Souvent taxée de « radicale », synonyme aux États-Unis de communiste ou de révolutionnaire, cette trentenaire ne cache pas ses convictions politiques et son programme progressiste, ralliant ainsi « l’aile gauche » des Démocrates menée par Bernie Sanders.
Si Alexandria Ocasio-Cortez effraie l’Amérique conservatrice, elle rassure les milléniaux, qui voient en elle une tempête prête à souffler sur le paysage politique américain. Victime de son succès, elle a même fait de son acronyme AOC une marque déposée, qui détrône de loin notre label national. Serveuse il y a encore deux ans, plus jeune congresswoman jamais élue, AOC est devenue un symbole, propulsée sur le devant de la scène médiatique et politique par son ton et son dynamisme, mais aussi par un usage intelligent des réseaux sociaux et des nouveaux moyens de communication. Polyvalente, elle n’hésite pas à se mettre en scène pour servir sa cause et inciter la population à voter. Comment Alexandria Ocasio-Cortez s’est-elle forgé un nom ? Du Bronx à Washington, retour sur un parcours singulier et prometteur.
AOC, un éclat de fraicheur
Avril 2019. Le magazine américain TIME signe une couverture qui restera dans les annales. Un regard sûr, des lèvres rouges qui vont devenir sa signature : voici Alexandria Ocasio-Cortez, nouveau visage de la politique américaine. AOC éclipse tout ce qui l’entoure, jusqu’au titre du magazine. Quatre mois seulement après son élection comme représentante de la Chambre, elle est déjà décrite comme « the phenom », un phénomène… ou une prodige. À 28 ans, Alexandria Ocasio-Cortez devient la plus jeune élue du Congrès, elle qui à 4 ans voulait devenir nageuse olympique, puis rêvait d’être scientifique (à son entrée à l’université, elle intègre même une classe préparatoire aux études de médecine). Quelques mois avant, elle travaillait encore comme serveuse dans un bar du Bronx, quartier dans lequel elle est née en 1989.
Fille d’un architecte et d’une femme de ménage d’origine portoricaine, AOC et son frère grandissent avec une conscience des classes aigüe, laquelle forgera le militantisme de la jeune femme. Ses parents quittent le Bronx pour une maison située en périphérie de New-York alors qu’elle a 5 ans : ce changement est destiné à lui offrir de meilleures conditions scolaires que dans son quartier natal. Très rapidement, AOC se rend compte qu’elle est la « seule latina » de son école ; au fil de sa scolarité, cette réalité lui saute aux yeux. Le mot qui semble le mieux la décrire est « brillante » : en 2007, elle remporte le second prix du Regeneron International Science and Engineering Fair, une exposcience de la Society for Science & the Public qui réunit 1 500 étudiants et leur permet d’obtenir des bourses d’études ou des excursions scientifiques. Elle poursuit ses études à l’université de Boston, où elle mène, là encore, de brillantes études en économie et en relations internationales qui la porteront à vivre quatre mois au Niger.
AOC a de l’énergie à revendre et elle sait ce qu’elle veut : après la mort de son père en 2010, sa famille se retrouve sous la menace d’une expulsion de leur domicile. Elle multiplie alors les petits boulots pour aider sa mère, confortant dans le même temps son engagement politique en faveur des classes ouvrières et défavorisées. Vanessa Jérome, politiste au Centre européen de sociologie et sciences politiques de l’Université Paris-I, livrait son analyse au journal « Le Monde » : selon elle, le fait qu’AOC « [insiste] sur son origine sociale modeste, sur son emploi de serveuse ou sur des moments de sa vie après la mort de son père […] est ainsi une manière de se construire comme une femme proche des citoyens, méritante, probe… et donc capable de représenter les délaissés du système et de renouveler les manières de faire de la politique ». AOC s’engage d’ailleurs dans de multiples projets populaires : directrice pédagogique du National Hispanic Institute, elle aide les américains et les « dreamers » (les immigrés de moins de 16 ans arrivés aux États-Unis et en attente de régularisation) dans leurs démarches ; en 2016, elle se tient aux côtés des Indiens de la réserve de Standing Rock qui s’opposent à la construction de l’oléoduc Dakota Access.
C’est d’ailleurs de ce camp de résistance qu’elle puise son envie de se lancer dans la conquête du Congrès et de donner un nouveau souffle au Green New Deal, un projet d’investissements écologiques pour répondre aux objectifs environnementaux et sociaux. Si beaucoup lui reprochent sa jeunesse, le météorologiste Eric Holthaus confiait dans un article de Vice que AOC était, parmi tous les politiciens confondus, « la seule personnalité politique [qu’il ait] jamais vu avec un programme pour le changement climatique en adéquation avec une justice intergénérationnelle ». Sa première campagne en 2018 sonne le glas d’une nouvelle ère de politiciens en refusant le financement traditionnel par les entreprises et les lobbies et en privilégiant les dons des citoyens. Elle remporte haut la main (57% des voix) les primaires démocrates de son district avec une campagne de 194 000$ quand son adversaire Joseph Crowley, invaincu depuis presque 20 ans, en a dépensé 17 fois plus. Aux élections midterms (qui renouvellent la Chambre des Représentants à mi-mandat présidentiel), elle fait face au républicain Anthony Pappas, qu’elle écrase en remportant 78% des suffrages. Nouvelle victoire en 2020 lors des élections législatives qui l’oppose à John Cumming, avec un score légèrement diminué par rapport à 2018 de 68,7% des votes.
« Égérie de la gauche radicale »
AOC commence sa carrière en politique en 2008, en faisant du démarchage téléphonique pour l’équipe de l’ancien président démocrate Barack Obama. Huit ans plus tard, en 2016, elle rallie l’équipe de Bernie Sanders. Ce sont le Brand New Congress et les Justice Democrats qui donnent un coup d’élan à son parcours. Ces deux groupes présentent des candidats inconnus (des outsiders), non professionnels et proches de la gauche pour introduire plus de diversité en politique et casser l’establishment symbolisé par l’homme blanc (ils étaient 81% au Congrès en 2018), vieux et riche. Sa candidature, envoyée par son frère, est repérée parmi dix mille autres.
Dès le début de son entrée en politique, AOC se définit comme de gauche, prônant des politiques progressistes et égalitaires telles que le medicare-for-all (l’assurance maladie pour tous), l’université sans frais de scolarité, le contrôle des armes à feu ou la fin de l’ICE, le programme de contrôle de l’immigration de Donald Trump. En se proclamant des Socialistes Démocrates d’Amérique (un parti d’inspiration socialiste), elle se rapproche de Bernie Sanders, qui la prend sous son aile et qu’elle soutient en retour aux primaires démocrates de 2020. Elle fait ainsi partie des task forces envoyées par Sanders après son abandon pour faire front avec Joe Biden face à Trump en tant que présidente de la commission climat de l’équipe Biden. Sur CNN, elle a rappelé que Biden devrait nommer des représentants de Sanders au pouvoir s’il gagnait.
L’élue de New York n’hésite pas à se confronter aux pointures de son parti pour soutenir ses convictions : en novembre 2018 elle occupait dans un sit-in avec le Sunrise Movement (un mouvement écologiste) les parterres du bureau de Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre ; en juillet 2019 avec « the Squad », elle refusait de voter pour le projet sur l’immigration de Pelosi. AOC joue toutefois le jeu de la conciliation, sachant à quel point les alliances démocrates peuvent être fragiles face à Trump. Au sujet de la nomination de la présidente ou du président du Congrès elle affirmait « [qu’elle] s’engage[ait] à ce que le candidat le plus progressiste possible soit nommé à cette place ». Et de continuer « Si Nancy Pelosi est la candidate la plus progressiste, je la soutiendrai ».
Mais son côté trop progressiste et populaire peut également parfois la marginaliser, et ce même au sein de son propre groupe. Située à l’extrême-gauche de l’échiquier politique, elle a par exemple été la seule démocrate à voter contre les 484 milliards de dollars pour soutenir l’économie face aux conséquences de la Covid en avril. Début mai, elle avouait au New York Times que lorsque « vous glissez ce genre de bulletin seul, vous avez le sentiment que vos collègues vous respectent moins et que vous avez choisi de vous marginaliser vous-même. […] je me suis sentie très découragée ».
Mais Alexandria Ocasio-Cortez est un roc battu par les marées qui ne s’érode pas. Son franc-parler et son éloquence sont comme des couteaux aiguisés qui désarçonnent même les plus téméraires. Preuve en est sa réponse au représentant républicain Ted Yoho en juillet après que celui-ci l’ait traitée de « sale pute » (« fucking bitch » en anglais) « complètement folle » et « écœurante » ; Yoho s’était excusé en affirmant qu’il n’aurait pas prononcé de tels mots étant marié et père de deux filles. AOC, émue mais la tête haute face au Congrès, a tenu dès le lendemain un discours féministe d’une grande justesse : « Avoir une fille ne rend pas un homme convenable. Avoir une femme ne rend pas un homme convenable. Traiter les gens avec dignité et respect est ce qui rend un homme convenable. […] Je ne laisserai pas le Congrès accepter ces excuses comme légitimes ». En 2019 déjà, elle démontait en une minute et vingt-trois secondes les discours sur l’ignorance scientifique concernant le changement climatique en confrontant deux ex-scientifiques d’Exxon à leurs projections climatiques de 1982 qui prédisaient une hausse des températures au degré près aujourd’hui, clôturant sa démonstration d’un laconique « so they knew » (« donc ils savaient »).
Une femme comme les autres
AOC doit aussi sa popularité à son côté « comme tout le monde » et à son caractère avenant. Trois jours par semaine, elle retourne sur le terrain de son district new-yorkais pour faire campagne ou apporter des aides alimentaires et humanitaires à la population locale avec un mot bienveillant pour chacun. Il faut ajouter à cela son utilisation éclairée des réseaux sociaux comme nouveaux modes de communication, notamment pour s’adresser aux jeunes. En 2018 elle cumulait 3,5 millions d’abonnés sur Twitter et 2,7 millions sur Instagram. Aujourd’hui, ceux qui la suivent ont quasiment triplé sur ses deux plateformes (10,6 millions pour Twitter et 8,1 millions pour Instagram). Beaucoup comparent son usage des social media avec celui qu’en fait Donald Trump : les réseaux sociaux apparaissent pour eux comme des moyens de contourner les médias traditionnels et de s’exprimer plus librement.
Voir cette publication sur Instagram
D’ailleurs, AOC ne résiste pas à la tentation de se mettre en scène. Dans sa publication du 23 octobre 2020, elle titillait gentiment l’ex-président républicain avec « the Squad », le groupe qu’elle forme avec trois autres représentantes démocrates (Rashida Tlaib, Ilhan Omar, et Ayanna Pressley, de gauche à droite sur la photo) comme ambassadrices de la diversité démographique américaine et de la nouvelle génération politique. « Quand ta sororité est tellement puissante que le Président des États-Unis ne peut pas arrêter de penser à elle » pouvait-on lire en légende du post. Mais AOC est aussi une femme, et elle ne l’oublie pas. En août dernier elle se prêtait au jeu du « Beauty Secrets » du magazine Vogue, souvent réservé aux mannequins ou stars de la chanson et du cinéma. La représentante du 14e district new-yorkais livre sa “key to beauty” dans une vidéo intitulée Congresswoman Alexandria Ocasio-Cortez’s Guide to Her Signature Red Lip (« Le guide de la représentante Alexandria Ocasio-Cortez pour son rouge à lèvre signature »). Entre sa skincare routine et son fond de teint, AOC envoie des messages d’empowerment dans un monde où « le simple fait d’être une femme est politisé ».
AOC est sur tous les fronts. Dans la nuit du 20 au 21 octobre, elle a joué à des jeux vidéo en ligne, en live durant plus de trois heures sur la plateforme Twitch, recueillant 435 000 spectateurs. Ce moment lui a permis de sensibiliser aux élections et au vote un public jeune. En janvier 2019 elle avait pris part une première fois à un évènement sur la même plateforme pour défendre et soutenir la communauté LGBT+ avec le vidéaste britannique HBomberguy.
AOC présidente ?
Beaucoup espéraient qu’AOC se présente pour les élections présidentielles ou qu’elle soit nommée comme vice-présidente avec Biden. Impossible cette année puisque la jeune femme n’a que 31 ans, soit 4 ans de moins que l’âge requis pour prétendre à ces postes (35 ans le jour de l’investiture). Elle devra patienter jusqu’à 2024 pour briguer le poste de présidente (ou vice-présidente) des États-Unis d’Amérique. Toutefois, un article du journal « Le Monde » révélait qu’Alexandria Ocasio-Cortez aspirait à revendiquer le poste du sénateur démocrate de l’État de New-York dans deux ans.
Après sa victoire en 2018, AOC avait lancé que son élection en tant que représentante « [était] le début d’un mouvement ». Nul doute qu’elle est un éclair qui risque de secouer l’horizon politique. Le MIT Lincoln Laboratory a attribué son nom à un astéroïde, le 23238 Ocasio-Cortez. Peut-être le signe d’une brillante trajectoire politique à venir.
Si vous voulez creuser un peu plus ou vous intéresser à quelques références citées :
- Knock down the House (Cap sur le Congrès) sur Netflix : un documentaire super intéressant sur la course au Congrès des candidats repérés par le Brand New Congress. Vous pouvez le trouver en accès libre (avec les sous-titres français) sur YouTube ici :
- Une interview exclusive d’AOC par Brut à retrouver ici :
- Sa réponse au représentant Yoho en juillet dernier :
- Sa vidéo « Beauty Secrets » de Vogue :
- L’article Vice cité en début d’article « Alexandria Ocasio-Cortez Is the Climate Change Hardliner the Planet Needs » à retrouver ici.
Pour retrouver plus d’articles, mon blog personnel Map to Map.