Le coup d’envoie du Festival de Cannes 2019 est lancé ! C’est pour Mauvaise Graine l’occasion de revenir sur 72 ans qui ont véritablement marqué l’histoire du cinéma. L’équipe s’est donc réunie pour vous proposer une sélection de neuf films plus ou moins connus, qui ont chacun leur esthétique, leur nationalité et leur importance dans l’histoire du Festival de Cannes. Des Parapluies de Cherbourg en 1964 à Heureux comme Lazzaro en 2018, découvrez la sélection officielle du magazine.
Article collaboratif
Les parapluies de Cherbourg – Jacques Demy (1964)
« Tu sens l’essence » se dit rarement en chantant, amoureusement. Mais dans Les parapluies de Cherbourg de Jacques Demy, le monde est en-chanté. La vendeuse chante, et le garagiste chante, et le vendeur de bijoux chante, et le passant chante également dans le tourbillon de couleurs qu’est devenu la ville. La banalité des choses est transformée en un monde où la musique de Michel Legrand fait vibrer les corps et les parapluies. Mais les gouttes finissent par tomber comme des larmes sur la ville et nos cœurs. La guerre d’Algérie creuse un trou noir dans les couleurs. Alors, il y a l’absence, l’oubli et la vie, qui continue malgré tout. Film multicolore au sujet noir des non-dits politiques, le lyrisme et la beauté des choses font contre-poids dans cette tragédie de l’absence, dont les mélodies demeurent parmi les chefs d’oeuvres de Michel Legrand.
Alma-Lia M.-L.
Blow Up – Michelangelo Antonioni (1967)
Thomas est un photographe de mode qui découvre dans des clichés pris dans un parc, un corps allongé derrière un buisson et un revolver. Commence alors un thriller sur fond (exubérant) de clichés de mode de la fin des années 60. Au centre du film, la question de l’oeil, qu’il soit humain ou objet, et donc du témoin, thème récurant chez Hitchcock et De Palma. Pour son premier film en anglais, Antonioni attire notre attention sur notre rapport à l’image qui peut être trompeuse et déformer la réalité.
Petit bonus, on peut apercevoir Jane Birkin dans le personnage de « la blonde » qui fit scandale à l’époque. Pourquoi scandale ? C’était la première fois qu’on voyait un corps de femme totalement nu dans un film qui n’était pas pornographique. Totalement anecdotique, mais on aime les anecdotes chez Mauvaise Graine Magazine !
Pour compléter votre visionnage, vous pouvez également regarder Blow Out de De Palma (1981) qui transforme cet « homme à la caméra » en ingénieur son au travers d’un John Travolta au meilleur de sa forme.
Eva D.-P.
Réveil dans la terreur “Wake in Fright” – Ted Kotcheff (1971)
Véritable virée en enfer dans l’outback Australien, Wake in Fright nous emmène dans un voyage poussiéreux où le spectateur suera autant que les personnages. Un cauchemar éveillé, halluciné qui ne vous laissera pas de marbre (et la folle performance de Donald Pleasance non plus). Si le nom de Ted Kotcheff ne vous dit rien, vous connaissez au moins un de ses films puisqu’il s’agit du réalisateur du premier Rambo (1982). L’histoire autour du film est assez impressionnante puisqu’après sa projection à Cannes en 1971 et un retour critique plutôt positif, le film a littéralement disparu de la circulation. Ce n’est que tout récemment, en 2004, qu’Anthony Buckley, le monteur du film, après 10 ans de recherches, a retrouvé les négatifs du film dans un entrepôt à Pittsburgh. Ils étaient dans un container sur lequel était inscrit : « à détruire ». Vous conviendrez qu’on a eu de la chance, car ce film vaut vraiment le détour.
Simon Z.
La dernière chance “Fat City” – John Huston (1972)
Fat City est un film relativement méconnu, du très grand John Huston. Il mérite pourtant une place plus élevée dans la filmographie du bonhomme car c’est une petite pépite présentée à Cannes en 1972. Film de boxe sans en être vraiment un, Fat City traite surtout de la mélancolie et de l’espoir de s’en sortir de ses deux personnages : Billy Tully (Stacy Keach, sublime) et Ernie Munger (Jeff Bridges, dans un de ses premiers rôles). Mais dans la ville de Stockton, tout n’est que misère et s’en sortir est juste le rêve que beaucoup caressent sans jamais vraiment y croire. John Huston filme tout cela comme personne, et nous fait entrer en empathie avec ses personnages de perdants nés. Un film qui résonne particulièrement avec la vie de son réalisateur puisqu’il était lui-même boxeur dans les années 20 et remporta le titre de champion amateur poids léger de Californie. C’était d’ailleurs ainsi qu’il voulait qu’on le voie sur le plateau de tournage, malgré sa bouteille d’oxygène qu’il traînait partout (car déjà bien malade à l’époque) et ses parties incessantes de backgammon (que le producteur essaya de lui retirer de force) : il voulait être vu comme un ancien boxeur.
Simon Z.
L’arbre aux sabots – Ermanno Olmi (1978)
Puisant ses racines dans une histoire intime de famille, d’enfance, L’arbre au sabot d’Ermanno Olmi raconte une communauté, une religion, un monde aujourd’hui disparu de l’Italie paysanne de la fin du XIXe siècle, sans lui donner les allures de la grande histoire qui nous donne des leçons. Rythmé par les saisons et le quotidien de quatre familles, ce film est un récit de la Terre et des hommes qui l’habitent et la travaillent. Son approche presque ethnographique d’un monde aujourd’hui perdu s’enrichit de l’empathie dont l’image déborde. Un sabot cassé à force d’avoir trop marché et un arbre coupé pour être remplacé prennent des allures d’épopée et révèlent la tragédie des choses.
Alma-Lia M.-L.
Paris, Texas – Wim Wenders (1984)
Paris, Texas retrace l’errance de Travis, interprété par Harry Dean Stanton. Accompagné par de longs travellings dans un désert brûlant, il avance tout droit dans ce paysage aride comme répondant d’un sens qui échappe au spectateur. Puis son frère le retrouve et il rentre chez lui, et l’errance doit s’arrêter, la vie rentrer dans l’ordre, et le sens se clarifier. Mais le monde est trop petit : il est sans paysage et n’est fait que d’avions qui s’envolent chaque jour, sans lui, pour de nombreuses destinations. Comment habiter un lieu ? Comment avoir une place auprès de son fils, dans une maison, dans une société, auprès de ce qui ne reste que comme un souvenir ? Lui-même habité par le rythme des vagues ou du vent, celui où l’accalmie entre deux élans n’est que de courte durée, il reprend la route, accompagné de son fils à la recherche d’un souvenir, celui d’une femme. Nouvelle accalmie : il faut trouver sa place face à un souvenir et une blessure ouverte, qui se présente à lui derrière un miroir sans tain. Les plans, qui se trouvent parmi les plus beaux du cinéma, permettent ici de s’y confronter puis de s’y pardonner. Nouvel élan.
Alma-Lia M.-L.
Old Boy – Park Chan-wook (2003)
Fondé sur un manga japonais de Garon Tsuchiya et Nobuaki Minegishi, lui même inspiré du Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas, Old Boy est un film sud-coréen qui vous fera l’effet d’une claque dans la gueule. Ce film ultra violent sans jamais l’être gratuitement permet à Park Chan-wook de montrer tous ses talents de narrateur et de metteur en scène. Une ambiance noire, électrique, des retournements de situation inattendus, des acteurs excellents, un ton amer, froid, contrebalancé par la douceur de la sublime musique composée par Jo Yeong-wook. Old Boy est filmé avec une véritable maestria et on ne peut lâcher le film une fois commencé. En bref, un film à voir absolument et qui peut être une bonne porte d’entrée pour le cinéma coréen, si vous ne connaissez pas du tout. En tout cas, il mérite amplement le Grand prix du Festival de Cannes, qu’il a gagné en 2004.
Simon Z.
Entre les murs – Laurent Cantet (2008)
François est professeur de français dans une classe de quatrième d’un collège parisien en ZEP. On est habitués des films se déroulant dans des écoles, avec en premier lieu La vague de Dennis Gansel, mais Entre les murs se détache par le portrait qu’il dresse d’un corps enseignant parfois désoeuvré, maladroit et fragile. Proche du film documentaire, le film se passe de tout artifice pour ancrer son récit dans un cinéma du réel, où l’image est aussi brute que les élèves auxquels on s’intéresse. Réalisateur engagé, Laurent Cantet se mobilisera en 2010 dans la cause des travailleurs sans papiers en grève aux côtés d’autres artistes. Il est également à l’origine du site LaCinetek, première plateforme de VOD dédiée au cinéma de patrimoine. C’est donc grâce à un film très humain qui n’a pas peur de montrer les faiblesses de l’Éducation Nationale, que Laurent Cantet a reçu la Palme d’Or en 2018.
Eva D.-P.
Heureux comme Lazzaro – Alice Rohrwacher (2018)
Récompensé par la palme du meilleur scénario l’année dernière à Cannes, Heureux comme Lazzaro retrace l’histoire d’un jeune homme candide vivant dans un petit village italien encore soumis aux lois du servage. C’est avec une force et une beauté assez rare que la caméra d’Alice Rohrwacher nous entraîne dans un conte social et engagé qui lie le mystique et l’irréel à la banalité de la misère rurale et urbaine. Sans faire tomber le récit dans un pathos larmoyant s’apitoyant sur le sort des habitants du village, Heureux comme Lazzaro est une ode à la bonté de l’âme évoluant dans une fable atemporelle contemplative. On admirera la prestation d’Adriano Tardiolo pour son premier film, d’une douceur et d’une finesse à couper le souffle.
Eva D.-P.