Aujourd’hui, on se penche sur une série, un roman et un épisode de podcast pour questionner nos rapports aux corps et au sexe en tentant d’y apporter un regard féminin. De quoi donner des idées pour s’occuper pendant ce nouveau confinement. 

Normal People (Lenny Abrahamson, Hettie Macdonald – 2020)

Article co-écrit par Ariane Allombert et Justine Bouchon

Normal People (Lenny Abrahamson, Hettie Macdonald – 2020)

Normal People a d’abord fait une entrée discrète dans le monde des séries en SVOD, diffusée depuis juillet 2020 sur le service StarzPlay, chaîne payante de la plateforme Prime Video. Basée sur le roman éponyme de l’auteure irlandaise Sally Rooney, la série a finalement été acclamée à la fois par la critique et le public. 

L’histoire suit la relation tumultueuse entre Marianne et Connell depuis le lycée jusqu’à l’université, depuis l’adolescence jusqu’à leur entrée dans l’âge adulte. En somme, un récit universel d’une histoire d’amour et d’amitié qui grandit et s’altère avec le temps. Pourtant, en 12 épisodes de 30 minutes, c’est justement l’ordinaire de cette relation qui arrive à nous toucher sans que l’on s’y attende. Si la série trouve son originalité dans sa simplicité, c’est peut-être parce que l’on s’est habitués trop longtemps à voir des récits amoureux aux antipodes de ce que chacun et chacune d’entre nous avait pu expérimenter dans sa vie affective et sexuelle.

Sally Rooney, décrite comme le J.D. Salinger de sa génération, a pour particularité de créer des récits souvent très justes qui dépeignent la complexité des relations sociales à l’heure des mutations de la communication et du règne des apparences. 

Derrière cette histoire s’en déroule une autre en filigrane ; celle d’une jeune femme d’un milieu aisé et d’un jeune homme issu d’un milieu populaire dont la mère est d’ailleurs femme de ménage dans le foyer de Marianne. Cette différence de classe sociale impacte forcément sur la façon dont se perçoivent les deux protagonistes. Rien de très neuf encore une fois puisqu’on peut se rappeler des injustices sociales qui empêchaient déjà Jack Dawson et Rose DeWitt de vivre pleinement leur amour dans Titanic

Normal People (Lenny Abrahamson, Hettie Macdonald – 2020)

Seulement, le traitement des personnages est beaucoup plus ambivalent et riche puisqu’on assiste peu à peu à un renversement dans la série : Marianne, ancienne loser au lycée, se révèle à l’université en étant beaucoup plus sociable et en n’ayant plus peur de séduire. Tandis que Connell n’est plus le garçon populaire, face à la position sociale dominante de ses nouveaux camarades. L’auteure illustre avec précision l’entrée dans un monde plus libre que celui du lycée mais d’une violence plus sourde, avant-goût de la vie d’adulte. 

En ce qui concerne le traitement des personnages, on remarque une inversion dans les stéréotypes de genre. Notre héros masculin est troublé par ses désirs, est ému face aux romans de Jane Austen, et se retrouve parfois dans l’incapacité de protéger sa belle…une manière de nous confronter à nos stéréotypes sexistes. L’accent est également mis sur le désir de Marianne, qui découvre sa sexualité et prend possession de son corps au fil des épisodes. D’ailleurs, les créateurs de la série ont fait appel à une coordinatrice d’intimité pour la mise en scène des actes sexuels, pratique de plus en plus encouragée aujourd’hui. La jeune femme peine également à communiquer (ce n’est pas uniquement réservé aux héros masculins dans la série, la mère de Marianne étant elle-même incapable de communiquer ses émotions) et c’est ce qui fait toute la complexité de cette relation émotionnelle et charnelle, entre les non-dits, les silences et les instants où on ne parvient pas à trouver les mots justes.

Félines (Stéphane Servant – 2019)

Auteur reconnu pour la jeunesse, Stéphane Servant s’est récemment illustré avec de beaux romans pour adolescents publiés aux éditions du Rouergue. Dans Féline, un roman dystopique captivant, la question du corps est omniprésente, celui qui change, celui que l’on cache, celui dont on a honte, celui que l’on affirme ou que l’on abuse. 

Dans un récit qui prend la forme d’une confession à un destinataire qui demeure longtemps inconnu, Louise, jeune adolescente, entreprend de faire le récit des événements spectaculaires qui ont secoué son monde. À la façon d’une épidémie, dont les réactions de panique ne nous sont pas étrangères en ce moment, un phénomène étrange frappe peu à peu les adolescentes du monde entier. Celles-ci voient leur corps changer de manière radicale. Il n’est pas question simplement de la puberté mais d’une véritable mutation des corps. Celles qui se surnommeront plus tard les félines voient leur peau se couvrir d’un pelage dru impossible à éliminer. Leurs ongles tout comme leurs sens s’aiguisent. 

L’incompréhension et la panique conduisent certains dirigeants à opter pour une politique violente à l’égard des adolescentes concernées qui se retrouvent listées, écartées des lieux de vie commun comme le lycée. Les autorités les somment de cacher ce corps honteux, monstrueux. Dans un enchaînement terrible, les jeunes filles se retrouvent même parquées telles des prisonnières, interdites de tout contact avec leurs familles. Le récit de Louise est celui d’une résistance, de la découverte de la sororité et de soi-même. La force réside dans le collectif, le soutien indéfectible qui se tisse entre ces sœurs qui se révoltent face à la domination et les volontés d’écrasement dont elles sont la cible. 

Sous la réflexion politique qui dénonce l’ostracisation de l’autre et le glissement des démocraties vers un certain autoritarisme, Stéphane Servant propose un vaste questionnement autour de notre rapport au corps. Aussi bien celui qu’entretiennent les adolescentes avec leur corps qui se transforme, entre honte et désir de validation que celui que toute la société porte sur les jeunes femmes. Les corps adolescents sont des corps à domestiquer, à maîtriser, des espaces de conquête et de domination. C’est bien ce que l’on apprend en répétant des gestes longs et parfois douloureux afin de traquer les poils sur nos corps, de dissimuler tout ce que l’on croit sortir de la norme. Or, la mutation des félines s’oppose à cela de façon violente : toute tentative de domestication est vaine, tout contrôle impossible. Sous le vernis de la société, le corps vit, inéluctablement, de façon presque animale. 

Quoi de meuf #127 : Cherche porno éthique et féministe 

Le Podcast Quoi de meuf dont on vous a déjà parlé dans le Rendez-vous des audiophiles en graine début mars sur Instagram a proposé un épisode dont il nous a semblé pertinent de vous parler. À l’occasion d’un épisode long publié à la fin du mois de mars, Clémentine Gallot et Pauline Verduzier s’intéresse à la vaste question de la pornographie et plus précisément à la possibilité d’un porno éthique et femniste. 

L’épisode s’ouvre sur un constat simple : avec la recherche “porno féministe” sur Internet, google nous dirige vers 50 nuances de Grey… Mais existe-t-il une pornographie féministe ? Est-elle viable à l’heure de la consommation du porno gratuit via les Tubes qui dominent le marché ? Comment s’assurer que le label féministe et éthique ne relève pas simplement d’une volonté de comunication et d’image de marque ? 

Les deux journalistes débutent par un vaste de panorama des positions qui opposent différentes branches des féminismes face à la question de la pornographie, parfois associée plus largement à celle du travail du sexe. Au coeur de la question, la violence et la domination ayant cours sur les tournages tout comme dans les contenus produits. 

Cette violence, on la retrouve dans quelques documentaires cités par l’équipe de Quoi de meuf et qui se concentrent sur les dérives du porno dit mainstream. Des enquêtes récentes font également apparaître dans le débat public des violences, les mauvaises conditions de travail et le non-respect du consentement des artistes sur certaines productions. Ces documentaires permettent également de mettre en lumière la dimension économique de l’industrie et de s’interroger sur les conséquences du capitalisme et du passage à une consommation gratuite et illimitée via les Tubes. La bibliographie de l’épisode est très riche d’ailleurs pour quiconque veut approfondir le sujet. 

Face à ce porno mainstream violent, hétéronormé et fortement installé dans le système patriarcal, on peut s’interroger sur la possibilité d’un orno féministe. Celui-ci peut être le lieu d’un bouleversement des scripts traditionnels, d’une diversité plus grande avec un véritable travail artistique de réalisation. Certains films s’inscrivent d’ailleurs dans une volonté d’expérimentation artistique et esthétique, bien loin des “jerk off contents” interchangeables aux scénarios risibles et aux scripts ultra-répétitifs. 

Cet épisode d’une heure invite ainsi à une réflexion sur nos pratiques de consommation des contenus pornographiques et sur les conditions de leur production. Ainsi, le label féministe et éthique peut simplement relever du feminism washing et de la volonté de redorer son image de marque sans impliquer un réel changement des pratiques. D’autre part, la question de la gratuité du porno mainstream opposé à des contenus de qualité mais payants, plus difficile à se procurer, interroge réellement notre relation à la société de consommation. En filigrane, tout au long de l’épisode, on s’interroge sur les rapports de domination, sur l’impact des représentations pornographiques sur notre imaginaire et nos désirs, et sur la possibilité de s’en sortir grâce à des productions marquées par le female gaze qui bouleverseraient les scripts et les représentations traditionnelles.