J’ai beaucoup de souvenirs d’enfance liés au maquillage, bien que ma mère ne se soit jamais maquillée. Il y a eu les maquillages de papillons à la fête foraine, le premier fard à paupière blanc nacré acheté chez Yves Rocher pour me déguiser en Dame blanche, en fantôme ou en sorcière pour Halloween. Et puis, au collège, j’ai découvert Sephora. J’ai fait mes premiers pas dans le maquillage de grande. Je crois que rien ne peut mieux illustrer l’idée selon laquelle le collège est une période difficile que la description du crayon khôl bleu électrique que j’arborais fièrement. Si la sagesse n’attend pas le nombre des années, la maîtrise du maquillage et surtout la mesure, si.
Article écrit par Ariane Allombert
Après cette phase difficile, j’ai fini par trouver mon rythme, plus sobre : mascara et eye-liner. Et ça a duré cinq ans, du lycée jusqu’à ma troisième année de prépa. Trois petites minutes dans la salle de bain après m’être lavé les dents, tous les jours, sans faute.
Sauf qu’il y a un an, après une griffure mal cicatrisée près de l’oeil, des petites rougeurs quelque peu douloureuses sont apparues autour de mes yeux. Le médecin et les pharmaciennes n’ont pas été d’une grande aide, me prescrivant finalement un traitement à base de sérum physiologique. Il a fallu que je me rende à l’évidence, maquiller mes yeux empirait les rougeurs, il fallait donc arrêter.
Un an après, les rougeurs ont disparu mais je n’ai pas vraiment repris mes anciennes habitudes. Je viens seulement d’acheter un mascara et un crayon dans un magasin de cosmétique bio, mais ils ne risquent pas de s’user trop vite.
Un an après, je tire plusieurs conclusions de cette année passée sans maquillage. Il y a un an, j’aurais dit que je me maquillais parce que j’aimais bien ça, aujourd’hui je me rends compte qu’il n’y avait pas que ça.
Me maquiller, c’était pour moi une façon de contrôler mon image
Je me suis rendu compte que dans le fait de me maquiller chaque matin, je menais une entreprise de conquête et de contrôle de mon image. J’avais la force et l’autorité pour plier mon image d’une certaine façon et contrôler le visage que je présentais aux autres. Bien plus que par le choix de mes fringues ou de mes coiffures, me maquiller était un moyen de me prouver que j’avais bel et bien un contrôle sur mon image, et plus largement sur mon corps. Ce contrôle était en fait une façon de prendre le dessus sur un corps et visage que je n’aimais pas. Mais c’était aussi un contrôle vis-à-vis des autres : une maîtrise de l’image que je présente aux autres, de celle que je suis à leurs yeux.
Le regard, ça se travaille et ça s’habitue
Les premiers jours, les premières semaines et sûrement les premiers mois, ça a été vraiment dur de me regarder dans la glace. L’absence de maquillage faisait ressortir tout ce que je n’aimais chez moi : le visage pale, fade, les yeux fatigués et un peu asymétriques. Je me sentais transparente et lessivée. J’ai porté à cette époque beaucoup de rouge à lèvres, pour compenser, pour détourner l’attention, et encore une fois pour contrôler.
J’ai réalisé un vrai travail sur le regard que je jetais à mon propre reflet dans la glace. D’abord par évitement, en concentrant mon attention sur mes cheveux ou ma peau, puis plus par bienveillance.
Honnêtement, je ne sais pas quand le déclic a eu lieu. Quand est-ce que la référence pour le reflet de mon visage est devenu mon visage nu. En tout cas, il a eu lieu. C’est drôle parce qu’en me remaquillant il y a peu, j’ai eu du mal à faire coïncider l’image de mon visage maquillé avec celle qui m’était devenue si naturelle.
Ne plus se maquiller, c’est lâcher prise
Ne plus me maquiller m’a permis de lâcher prise, d’abandonner ce désir de contrôle douloureux. Avec du recul, je crois que ça m’a permis de retrouver -et même peut-être bien tout simplement de trouver- un rapport plus sain avec moi-même. Ça a été l’occasion, plus ou moins consciemment, de prendre de la distance avec des diktats imposés par la société et que je relayais moi-même en me maquillant. En arrêtant de me maquiller, je crois que j’ai accédé à une relation rassérénée avec, si ce n’est mon corps, au moins mon visage. Et je crois que c’est ce que je retire de plus bénéfique de cette expérience : une certaine tranquillité.
À force de ne plus me maquiller, j’ai accepté de regarder mon visage nu avec bienveillance et sérénité. Je suis plus à l’aise avec moi-même puisqu’aujourd’hui mettre du maquillage est pour moi purement le résultat d’une envie. C’est parce que je le décide, parce que je le veux, que je le fais parfois. Ce n’est plus pour avoir une prise sur mon image, ce n’est plus parce que je suis persuadée que, sans maquillage, mon visage n’est pas assez bien, pas assez beau ; que ma peau n’est pas assez nette, pas assez rayonnante. Et abandonner l’idée – peut-être inconsciente à l’époque – que mon visage sans maquillage est un visage auquel il manque quelque chose, ça m’a fait un bien fou.
Images tirées de She-devil avec Meryl Streep