Parasite, septième long-métrage du Sud-Coréen Bong Joon-ho, est enfin sorti en salle. Récompensé cette année à Cannes par la Palme d’Or, le réalisateur avait déjà fait parler de lui l’année dernière avec son film Okja, sorti sur Netflix et non pas sur grand écran. Mais pourquoi aller voir Parasite ?

Parasite de Bong Joon Ho

Article écrit par Eva Darré-Presa

1- Parce que c’est une véritable fable sociale qui bouleverse notre rapport à la morale

C’est dans le sous-sol exigu qui leur sert d’appartement que vivent les quatre membres de la famille Ki-taek, tous sans emplois. Leur vie s’articule entre pliage de boites à pizza pour gagner un maigre revenu, piratage du réseau wifi de la voisine et vision d’un homme ivre mort qui vient tous les soirs uriner dans la rue devant leurs fenêtres. Mais tout va changer le jour où un ami du fils vient leur apporter deux cadeaux : une pierre ornementale censée apporter prospérité à la maison et, pour le fils, une place en tant que professeur particulier d’anglais pour la fille de la riche famille Park. Difficile de ne pas déflorer l’histoire en la résumant plus, chaque rouage du scénario de ce film tiroir étant si bien imbriqué avec les autres.

Loin d’une manichéenne lutte des classes, Parasite joue avec notre sens moral en faisant du spectateur le témoin impuissant des événements qui se dérouleront dans la maison des Park. Comme le titre le laisse indiquer, la famille Ki-taek s’insinuera comme un parasite au sein de la famille Park, chacun trouvant un rôle bien particulier à jouer au coeur de cette escroquerie. Une escroquerie qui prend parfois le tournant d’une blague potache comme lorsque le père Ki-taek fait remarquer en riant qu’une bonne partie des revenus de la famille Park arrive directement dans leurs poches.

Mais la tournure que prendra cette arnaque incontrôlable ne permettra à personne de s’en sortir vraiment indemne, pas même au spectateur. Là où le génie de Bong Joon-ho est, c’est qu’il arrive à nous manipuler comme les familles se manipulent, grâce à ce qui n’est pas simplement qu’une banale lutte des classes. En jouant sur notre sens moral, on ne peut qu’être indécis face à ce à quoi nous assistons : d’une part une pauvreté si forte qu’il est parfois préférable de disparaître de la société plutôt que de payer ses dettes, de l’autre un véritable dédain de la part des classes bourgeoises envers les classes plus populaires. Alors comment justifier les actes immoraux de quatre individus qui tentent de survivre par tous les moyens quand la classe supérieure se permet de décider en un claquement de doigt qui a le droit à un travail ?

 

2 – Pour la force du scénario qui nous tient en haleine

En une seule séquence, les enjeux peuvent nous faire passer du rire à la peur d’une seconde à l’autre. Ce thriller qui se déroule presque totalement en huis-clos nous enferme dans une maison aux mille secrets qui semble aspirer les personnages et les pousser à la folie. Ce qui semblait au départ n’être qu’un moyen de gagner un peu d’argent pour la famille Ki-taek, devient vite une obsession pour un mode de vie bien éloigné du leur, tout particulièrement pour le fils, Kevin.

D’une scène satirique sur la portée du wifi à des violences de plus en plus accrues, Parasite nous plonge dans un thriller glaçant où un simple moyen de survie devient une véritable course à la convoitise et à l’envie qui finira par faire sombrer les personnages. C’est dans cette maison habitée par les fantômes que les traits de caractère de chaque habitant seront exacerbés. On ne sait plus pour qui tenir dans ce jeu social où la violence ne fera qu’aller crescendo.

C’est en suivant le crédo du père de la famille Ki-taek qu’on apprécie particulièrement le film : on ne peut pas être déçu si on n’a pas de plan. La meilleure chose à faire reste donc de ne pas chercher à juger les personnages selon la morale, mais peut être simplement de rester à sa place de spectateur, tenu en haleine mais néanmoins passif. C’est en se laissant porter qu’on peut vivre le désespoir de plus en plus profond du père, l’avidité du fils Ki-taek ou la naïveté de la mère Park.

Parasite de Bong Joon Ho

3 – Parce qu’« après la pluie vient le beau temps »

Mais pas forcément pour tout le monde. Phrase prononcée par un membre de la famille bourgeoise, cette citation connue de tous est totalement en contradiction pour les deux familles. A la fois littérale et métaphorique, c’est la pluie qui sera l’élément déclencheur de la dernière partie du film.

L’échelle sociale entre les deux familles et recréée littéralement par la place de leurs habitations, l’une perchée sur les hauteurs, l’autre en sous-sol. C’est cette pluie qui viendra « laver » la supercherie et engendrer la déchéance des deux familles.

En effet, la pluie n’amène pas le beau temps pour tous. Elle devient vite synonyme de destruction et de mort quand elle emporte avec elle tous les biens de la famille Ki-taek sans rien leur laisser de leur vie passée qu’un paquet de cigarettes et la pierre offerte en début de film. Le film ne laisse rien à ses personnages, à peine le faux espoir que tout ira mieux.

C’est dans son discours de remerciement à Cannes que Bong Joon-ho fait référence à deux réalisateurs français : Claude Chabrol et Henri-George Clouzot. On comprend vite l’influence qu’ont pu avoir ces deux hommes sur le réalisateur Coréen : l’un pour ses portraits sociaux réalistes et noirs, l’autre pour la cruauté envers la bourgeoisie.

C’est donc un certain déterminisme social ainsi qu’une série d’événements qui vont entrainer la dure fin de ces deux familles qui se retrouvent piégées comme des bêtes dans un scénario savamment orchestré qui a tout prévu pour eux.